sábado, 16 de julio de 2016

Lettre de Gérard Depardieu à Maurice Pialat

[Sans date]




Entre toi et moi, c’est à la vie, à la mort. Nous sommes comme deux chefs de bande obligés de partager le même terrain vague. Nous vivons dans un état de paix fragile. Il y a eu des guerres, il y en aura d’autres. Tu sais très bien qu’on ne peut pas s’en passer, que c’est plus fort que nous. Tu es un taureau, un vrai taureau de combat. Quand on se rencontre, on entend parfois le bruit des cornes. Tu peux rire… Je ne sais lequel d’entre nous souffre le plus de nos séparations. Je ne sais pas qui est le plus jaloux. Et dire que la jalousie, je ne connaissais pas, je ne croyais jamais connaître. Et la nôtre, elle est carabinée, incurable, intenable. C’est une jalousie de ventre à ventre, une putain de jalousie qui ne vous lâche pas, une vraie rage de dent. C’est peut-être bien toi, après toi, qui as eu mal le premier. Cela doit être toi qui as commencé, si je puis dire.
On s’était donné rendez-vous au « Deauville », sur les Champs-Élysées. Tu étais venu discrètement me voir jouer au théâtre. Tu voulais me proposer quelque chose. Tu avais déjà une sacrée réputation. Coléreux, impossible, certains disaient même que tu étais carrément fou. Je te le dis ! Les réputations, moi, cela me connaissait. À Châteauroux, je me trimbalais dans les rues avec, je me prenais les pieds dedans. On ressemble rarement à sa réputation. J’ai toujours eu beaucoup de mal à coller avec ce que l’on disait sur moi !
Tout de suite, on a eu l’air de se plaire. On se parlait facilement comme si l’on avait déjà l’habitude l’un de l’autre. Je n’ai pas eu besoin de composer avec toi, de jouer au mec qui connaît bien son job : « Bon, ouais, qu’est-ce qu’il y a à faire ? Ça ? O.K., c’est bon, je peux le faire, c’est sans problème. On commence quand ? Il y aura beaucoup d’extérieurs ?… » De ton côté, tu ne cherchais pas à me « vendre » le film du siècle, à me faire miroiter le rôle d’une vie. Tu avais déjà le goût de l’autodépréciation. Plus tu parlais, moins tu le sentais ton film. À la fin, il t’échappait complètement. « Finalement c’est pas ça, c’est pas bon, c’est ce que je croyais… » Il s’agissait de La Gueule ouverte, un chef-d’œuvre en passant. Et puis, il y a eu un problème de date Bertrand Blier m’a pris pour Les Valseuses. Il était venu un peu avant toi. Nous n’avons pas pu travailler ensemble. Philippe Léotard m’a remplacé. Le tournage de Loulou, avec ce faux départ, était déjà commencé, avant même qu’il existe dans ton esprit.
Ce tournage bon sang ! Tu me l’as fait payer ma trahison. Je connaissais les coups de boule et les coups de latte, les poings américains et les chaînes de vélo, cela ne m’a pas empêché d’en prendre plein la gueule ! Tu avais l’art de toucher là où ça fait mal, d’inciser les névroses à vif, d’éclairer d’une lumière crue les faiblesses les plus soigneusement cachées. Chapeau ! Alors évidemment, hé me suis défendu comme j’ai pu. À la sortie. C’est un peu ça, je t’ai attendu à la sortie. À la sortie de Loulou. J’ai craché ma douleur, ma révolte à la presse. Je ne regrette rien. Ce n’était pas une mauvaise violence. Il fallait que je frappe moi aussi. Mais tu avais bien eu raison de m’envoyer valser dans les cordes. J’étais à l’époque un acteur un peu connard. Cela n’arrangeait rien. J’avais vingt-sept-vingt huit ans, je vivais en roue libre, sur la lancée des Valseuses. Je ne me prenais pas pour de la merde. Figure-toi que j’ai attendu deux ans avant de voir Loulou. À la projection, j’ai tout compris. Toi aussi sans doute. On aurait bien du mal à se passer l’un de l’autre.
Police fut plus qu’une simple et banales réconciliation. Nous avons connu un véritable état de grâce, des nuits de noces. C’est à ce moment-là que j’ai ressenti ma jalousie. Elle venait par vagues, par bouffées. Je me disais : « Merde, Qu’est-ce qui m’arrive ? » J’étais exactement comme une jeune femme. Je ne me suis jamais senti aussi féminin que devant toi. J’étais jaloux de tout, de Sandrine Bonnaire, de ta liberté sur le plateau, de ce que tu osais faire avec une caméra, du temps que tu prenais. J’étais malheureux de ne pouvoir partager ton secret, ta part maudite. J’aurais voulu être artiste à deux.
Quand je tourne avec un autre metteur en scène, quand nous sommes loin l’un de l’autre, entre deux prises, si je tends l’oreille, je peux entendre ta douleur. Tu n’es pas quelqu’un qu’on peut rassurer avec un coup de fil, quelques formules de politesse, un « j’t »embrasse » ou un « on se voit à Paris dès mon retour ». Tu ne peux jamais dire quelque chose d’anecdotique, d’inutile. Entre nous, il n’y a jamais de déclaration d’amitié, d’échange effréné de compliments. Le compliment, c’est une chose encore trop civilisée. On n’a pas de vapeurs. Nous avons des grognements pour nous comprendre, pour nous rassurer.
Sur un plateau, tes colères sont respectées. Elles n’ont rien de chimique, tu n’est pas Clouzot semant la terreur parmi les comédiens. Tu piques une crise quand une scène résiste, lorsque tu butes sur un détail. En analyse aussi, on passe son temps à buter sur des détails apparemment anodins, mais qui au bout de la troisième séance se révèlent essentiels, décisifs pour la suite du « voyage ».
En dehors du cinéma, au-delà des belles sensations que nous avons éprouvées ensemble avec le succès de Police et l’aventure du Soleil de Satan, il y a nos plages de silence, la vie comme elle vient, cette haie de pommiers qu’on s’était promis de tailler ensemble. Au moment de retrousser les manches, on s’est rendu compte qu’elle mesurait facilement deux cents mètres. On ne s’est pas dégonflés, on y a mis le temps, mais on a tenu bon, jusqu’au bout. Eh bien, des haies de pommiers, mon Maurice, on n’a pas fini d’en tailler ensemble. Tu peux déjà cracher dans tes mains en attendant !

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