sábado, 13 de febrero de 2016

Lettre de Jean-Paul Sartre à Simone de Beauvoir

Le 6 novembre [1939]




Mon charmant Castor
Comme c’était triste hier soir de laisser cette petite personne toute seule dans le noir. Un moment j’ai eu l’idée de retourner et puis j’ai pensé : « À quoi bon ? Ça sera cinq minutes et puis après ça sera plus dur de se séparer. » J’ai marché très vite jusqu’à l’école, je savais tout le temps que cette chère petite personne était encore là, à cinq cents mètres de moi, ça m’a empêché de lire tout un grand temps. Mais vous savez, au fond, j’étais profondément heureux. Vous comprenez, ça m’avait secoué, ces cinq jours, secoué dans ma vase et puis j’y retombais, mais c’est formidable tout ce que ça m’a donné. D’ailleurs ça m’a donné une seule chose, tout simplement mais que rien ne peut valoir, votre présence toute seule et toute nue et vos petits visages et vos tendres sourires et vos petits bras autour de mon cou. Mon amour c’est bien vrai, ce qu’on disait souvent, que je pourrais vivre avec vous n’importe où. Après ça j’étais un peu inquiet, pas bien sûr de moi et puis je me demandais qu’est-ce que vous deveniez, si tout marchait bien pour vous ; j’imaginais ce train noir et froid.
Les acolytes étaient là, agaçants et complices. Pieter m’a demandé en mimant l’air détaché et en barbouillant les mots dans sa bouche, par discrétion (il était d’ailleurs seul avec moi) si vous étiez partie. J’ai écrit un peu dans mon carnet et puis on a été se coucher. Mme Vogel nous avait déménagés. Nous sommes à présent dans un salon en noyer qui ressemble un peu à celui du Bel Eute mais avec des couleurs plus criardes. On nous a dressé là un lit qui semble fort déplacé. Paul tremble de casser des potiches, coquillages, bonbonnières ou bibelots dont la salle regorge, dans son sommeil ambulant. Mais il a été très sage. Ce matin il est parti pour chercher des tubes d’hydrogène avec Pieter et je suis resté seul tout le jour. J’ai été à la Rose, vers sept heures moins le quart et la grosse vieille m’a dit en ricanant : « Ha ! Ha ! vous êtes seul ! » J’ai lu Un rude hiver, suite et fin qui m’a déçu. D’ailleurs il n’y a pas là de quoi faire un livre. Ça doit être tronqué j’imagine. J’étais tout enveloppé de tendresse mais je ne voulais pas m’y laisser aller, c’est pernicieux. Tout de même je me demandais tout le temps si vous aviez bien senti combien profondément je vous aime et ce que vous êtes pour moi.
O mon charmant Castor, je voudrais que vous sentiez mon amour aussi fort que vous sentez le vôtre. Je suis revenu et toute la matinée j’ai gratté sur mon petit carnet. Mais pas sur ce qu’on avait dit ; au fond c’est tellement simple : j’ai été profondément et paisiblement heureux et maintenant je ne veux pas avoir de regrets, voilà tout ce qu’il y aurait à dire. J’ai senti toute la journée que j’étais en état de regarder ma situation avec un œil neuf mais je fermais soigneusement cet œil-là. A présent, à force d’être fermé, comme l’œil de la taupe il s’est résorbé. Voilà ce que je n’ai pas écrit. Mais j’ai continué de 9h à 11h (après un sondage exécuté seul avec Keller) à coucher sur le papier des considérations sur mon adolescence – et puis encore un peu au Cerf (où on m’a posé les questions polies qui s’imposaient) de 11h à 12h. Puis j’ai déjeuné (du veau, en signe de deuil – on me proposait aussi des salsifis mais je n’ai pas voulu pousser le deuil jusque-là et j’ai obtenu des pommes sautées) et Mistler est venu avec Courcy.  Appel. Puis j’ai encore gratté le papier jusqu’à maintenant. Paul me dit que sa femme est institutrice à 7 kilomètres de Tréveray et qu’elle est très serviable. Voilà. Pas de lettre de Tania – elle doit râler, je serai curieux de connaître le dénouement de cette histoire. Une aimable lettre de ma mère. C’est tout, ça fait lendemain de fête, c’est une lettre de vous que j’aurais voulu.
Mon cher amour, ma petite fleur, on n’a fait qu’un, n’est-ce pas ? Je vous aime si fort, si fort et je le sens bien. Vous avez été un petit charme et vous m’avez rappelé ce que c’était que le vrai bonheur. Je vous embrasse sur vos deux petites joues.

viernes, 12 de febrero de 2016

Lettre de Friedrich Nietzsche à Lou Andréas Salomé

[8/24 août 1882]






1. Les hommes qui aspirent à la grandeur sont habituellement des gens méchants ; c’est la seule manière qu’ils ont de se supporter.
2. Qui ne trouve plus la grandeur en Dieu ne la rencontre plus et ne peut alors que la nier ou — la créer (contribuer à la créer).
3. [+++]
4. L’immense attente en matière d’amour sexuel pervertit, chez les femmes, leur vision de toutes les perspectives plus lointaines.
5. Héroïsme — c’est la disproportion où se trouve un homme qui vise un but par rapport auquel lui-même n’entre plus du tout en ligne de compte. L’héroïsme est la bonne volonté de la disparition de soi.
6. Le contraire de l’idéal héroïque est l’idéal de l’harmonieux développement universel — un beau contraire est très souhaitable ! Mais c’est un idéal qui ne vaut que pour des êtres fondamentaux bons (Goethe, par ex.)
L’amour est pour les hommes quelque chose de tout à fait différent de ce qu’entendent les femmes.
Pour la plupart, l’amour est sans doute une forme d’avidité ; pour le reste des hommes, c’est le culte d’une divinité souffrante et masquée.
Si l’ami Rée lisait cela, il me tiendrait pour fou.
Comment allez-vous ? Il n’y a jamais eu, à Tautenbourg, une journée plus belle que celle-là. L’air épuré, doux, puissant : comme il faudrait que nous soyons tous.
Cordialement,
F.N.

jueves, 11 de febrero de 2016

Lettre d’Anaïs Nin à son cousin Eduardo





[Sans date]
Examinons notre relation présente avec objectivité : entre nous la guerre est déclarée. Nous nous haïssons cordialement. Nous nous haïssons parce que nos façons de sentir et d’agir sont diamétralement opposées. Jusqu’à maintenant, nous avions commis l’erreur d’être tendres l’un envers l’autre, à cause de notre besoin d’amour.
Je n’avais pas la force de t’effacer de ma vie, alors que biologiquement, planétairement, émotionnellement, métaphysiquement, psychologiquement, j’aurais dû le faire. Tu aurais dû haïr ma positivité, mon absolutisme, ma sensualité, tout comme je hais ta passivité, ta spiritualité, ta négativité.
En tant qu’honnêtes adversaires nous sommes plus forts et plus sains que comme amis. Je veux que tu m’effaces de ta vie. Mon intervention d’hier soir fut la dernière et elle n’était pas due à l’affection mais à la haine : j’aurais souhaité que l’homme que j’ai aimé fut autrement. C’est de l’égoïsme, pas de l’amour. C’est un signe que l’amour est mort. Nous sommes tous deux assez forts pour nous passer de cette habitude de tendresse que nous avions gardée entre nous.
Ce n’était qu’une habitude, comme les liens du mariage. Il y avait longtemps que la vraie signification de la tendresse était morte. Il y avait longtemps que la vraie signification de la tendresse était morte.
L’autre soir, nous avons été tous les deux assez courageux pour le reconnaître. J’ai vu de la haine dans tes yeux, lorsque tu as constaté encore une fois une preuve de mon pouvoir (sur Ana Maria), et tu as pu lire du mépris dans les miens, lorsque tu as parlé de la « bonne société » dans le but d’insulter mes amis si merveilleux (oh ! grands dieux ! quelle maigre injure ; ne pouvais-tu pas trouver quelque chose de plus gros ?). Je suppose que tu aurais empêché Ana Maria de rencontrer D.H. Lawrence, fils de mineur ?
Et peut-être seras-tu surpris un jour de me voir épouser le fils d’un tailleur, parce qu’il a du génie et des couilles.
Aujourd’hui, Mars est en ascendant. Pour toi, il ne s’agit que d’une nébulosité atmosphérique mentale de plus ; pour moi, c’est la poursuite d’une expérience passionnée, qu’il agisse d’amour ou de haine.

martes, 9 de febrero de 2016

El caliqueño de Barthes






En los últimos tiempos, cada vez que regreso a París, capto imágenes que me indican que el pasado no está muerto, ni siquiera es pasado, y nunca termina de pasar. Lo comprobé el miércoles, recién llegado a la ciudad. Mientras el taxi enfilaba silenciosamente el bulevar Saint-Germain, sentí que me movía dentro de una vieja película del pasado al ver a unos liceístas (lycéens) que, por el uniformado y pulcro modo de ir vestidos, me recordaron a los que paseaban por el mismo bulevar, junto al joven Barthes, en aquella foto que el escritor incluyó en el álbum de recuerdos comentados que incluía en Barthes par Barthes: “En esos días, los liceístas eran señoritos”.
¿Cuántas generaciones son necesarias para revolucionar las viejas formas? Los liceístas del bulevar Saint-Germain de hoy se comportan y visten prácticamente como sus bisabuelos. Otras cosas habrán cambiado, ésta no. Pero esta clase de inmovilismo, que en el fondo, por su matiz retrógrado, tanto puede contrariarnos, contribuye precisamente a que el pasado en París no termine nunca de pasar y el hoy maltrecho barrio de Saint-Germain, por mucho que haya sido devorado por Armani y Vuitton, conserve parte de su encanto, de su espíritu. Mal que nos pese, lo conserva gracias a esos detalles conservadores o desvaídos vínculos con el pasado, a través de los cuales podemos reconocer todavía un espacio geográfico: unas ciertas calles, por ejemplo, en torno a la plaza de Saint Sulpice; las rutas por las que Roland Barthes, fiel a sus rituales cotidianos, fue llevando a conciencia su terca vida de provinciano dentro de la gran ciudad. “Dibujo por el barrio los pequeños caminos que me llevan siempre a los mismos lugares”, dice en El teatro del lenguaje, el absorbente documental de Chantal y Thierry Thomas que para mi sorpresa estrenaron en la televisión francesa en la noche del pasado miércoles.
Recuerdo que, atrapado por el largometraje, me decía fascinado: ya nadie habla así en la televisión. Era tan raro ver cómo Barthes, apretando férreamente con sus dientes una especie de caliqueño —un Toscano Extra Vechio, lo más probable—, le decía a la cámara: “Hablamos sin saber que hablamos, sin saber nada de nuestra propia palabra”. Y algo más tarde: “Estar con quien se ama y pensar en otra cosa”.
Pensé: al igual que el vestuario de los liceístas señoritos, sus frases frente a la cámara restituyen el lenguaje de los días gloriosos y recuerdan que el pasado nunca termina de pasar.
El teatro del lenguaje, que el 6 de octubre se comercializa en Francia, es una biografía intelectual y afectiva de Barthes, un documental que intercala vida y literatura e ilumina de un modo tan genial los variados territorios barthesianos que acabamos extasiados yendo de la teoría literaria al placer del texto, del imperio de los signos a la exigencia de delicadeza, de la exigencia de amor a la pena por China, del estructuralismo al duelo profundo por la madre muerta. Ya nadie es inteligente en la televisión, pero este filme parece querer desmentirlo.

domingo, 7 de febrero de 2016

Plaisir d'écrire

Lettre de Victor Hugo
à Léon Richer : « Il est difficile de composer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme. »

Lettre de Victor Hugo à Léon Richer : « Il est difficile de composer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme. »

Victor Hugo (1802-1885), en plus de son travail d'auteur prolifique et talentueux, fut aussi l'une des rares voix masculines de son siècle à s'élever contre les injustices subies par les femmes. Léon Richer, créateur de l’Association pour le droit des femmes (1869), le nommera même président d'honneur de la Ligue française pour le droit des femmes qu'il fonde en 1882. Dans cette lettre, l'écrivain apporte tout son soutien au combat féministe mené par les libre-penseurs de l'époque, témoignant une fois de plus de son engagement humaniste.
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Lettre de James Joyce à Nora Barnacle : « Je
lècherai de plus en plus vite comme un chien affamé jusqu’à ce que ton con soit une masse de bave. »

Lettre de James Joyce à Nora Barnacle : « Je lècherai de plus en plus vite comme un chien affamé jusqu’à ce que ton con soit une masse de bave. »

James Joyce (2 février 1882 - 13 janvier 1941), écrivain canonique du XXème siècle, auteur des prouesses littéraires Ulysse et Finnegan’s wake, oscillait dans ses lettres à Nora, sa femme et muse absolue, du sacré et des serments éternels aux aveux les plus crus, choquants et impudiques. Rarement dans l’histoire littéraire une rencontre amoureuse n’éveilla de tels fantasmes à mi-chemin entre l’adoration religieuse et l’obscénité. À l’âge de 27 ans, le 8 décembre 1909, soit cinq ans après sa rencontre avec Nora, le poète irlandais expédie depuis Dublin cette lettre à sa douce : souvenir d’une nuit folle, prélude des nuits à venir.
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Le SMS à envoyer
après une première nuit ratée

Le SMS à envoyer après une première nuit ratée

Les premières nuits d’amour ne sont malheureusement pas toujours des réussites. Ce moment intime tant attendu, ou parfois beaucoup trop inattendu, révèle bien des surprises. Machiavel même pourrait en témoigner, lui qui s’est retrouvé dans une maison sombre avec une vieille femme poilue et puante toute une nuit et ne s’en est aperçu qu’au lever du soleil ! Sans aller jusque …
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Lettre de Lewis Carroll
à Alice Hargreaves : « Mon amie-enfant idéale. »

Lettre de Lewis Carroll à Alice Hargreaves : « Mon amie-enfant idéale. »

Lewis Carroll (27 janvier 1832 - 14 janvier 1898) est un écrivain fantasque qui « au cœur d'un été tout en or » (1862) fit la rencontre d'une petite fille ; Alice Liddell, alors âgée de 10 ans, qui lui inspira son plus grand chef-d'œuvre. À l'aide de devinettes et de belles histoires écrites à son usage, il arriva à l'approcher. La fillette lui demanda alors d'écrire pour elle son histoire : Alice au pays des merveilles, précieux manuscrit initialement intitulé Aventures d’Alice sous terre qu'il offrit à sa muse le 26 novembre 1864. Mais la même année, malédiction ! Mrs. Liddell lui refuse la permission d'inviter ses filles. Bien des années plus tard, Lewis Carroll reprend contact avec Alice, qui s'est mariée et s'appelle désormais Alice Hargreaves pour lui demander une autorisation de publication.

André Breton - L'Amour fou, Paris, Gallimard, 1937









Mais c'est tout à fait indépendamment de ces figurations accidentelles que je suis amené à faire ici l'éloge du cristal. Nul plus haut enseignement artistique ne me paraît pouvoir être reçu que du cristal. L'œuvre d'art, au même titre d'ailleurs que tel fragment de la vie humaine considérée dans sa signification la plus grave, me paraît dénuée de valeur si elle ne présente pas la dureté, la rigidité, la régularité, le lustre sur toutes ses faces extérieures, intérieures du cristal. Qu'on entend bien que cette affirmation s'oppose pour moi, de la manière la plus catégorique, la plus constante, à tout ce qui tente, esthétiquement que moralement, de fonder la beauté formelle sur un travail de perfectionnement volontaire auquel il appartiendrait à l'homme de se livrer. Je ne cesse pas, au contraire, d'être porté à l'apologie de la création, de l'action spontanée et cela dans la mesure même où le cristal, par définition non améliorable, en est l'expression parfaite. La maison que j'habite, ma vie, ce que j'écris : je rêve que cela apparaisse de loin comme apparaissent de près ces cubes de sel gemme.