domingo, 16 de diciembre de 2018

Quelle lectrice êtes-vous Delphine De Vigan ?






« L’écriture que j’avais chassée par la porte est revenue par la fenêtre »

Son roman, « D’après une histoire vraie » (il remporta le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens en 2015), vit une double actualité: sa parution en Livre de poche et son adaptation au cinéma par Roman Polanski, avec Emmanuelle Seigner et Eva Green dans les rôles de deux femmes à l’amitié sulfureuse. Une histoire troublante et palpitante, conçue comme un thriller et qui vient juste après « Rien ne s’oppose à la nuit», un énorme succès critique et public lui aussi. Ceux qui ont dévoré ce texte inspiré de son enfance, peuvent aisément imaginer à quel point la lecture représenta un refuge pour Delphine de Vigan. Et aujourd’hui encore, elle reste  une lectrice passionnée et éclectique…
Vous souvenez-vous de vos premières lectures ? 
Mes tout premiers souvenirs remontent à la collection du Père Castor, avec « Michka le petit ours » et «La vache orange », un must! Et un autre livre, « Zizou artichaut oiseau » que j’ai toujours… Plus tard, lorsque j’avais une dizaine d’années, je me suis plongée dans des bandes dessinées. J’avais hérité d’une collection de Lucky Luke (que je trouvais beau, ténébreux, solitaire!), de Gaston Lagaffe, d’Astérix et Obélix. Et des aventures de Philemon, des albums de pure poésie. Je les ai lus et relus, et comme nous n’avions pas la télévision, cela a développé chez ma sœur et moi la lecture et le travail manuel…  A l’époque, je dévorais aussi sans pouvoir m’arrêter toutes les aventures des « Sœurs Parker » en bibliothèque verte.
Y avait-il des livres chez vous ?
Ma mère était une grande lectrice, elle aimait beaucoup la poésie et la littérature contemporaine. Elle m’a fait découvrir de nombreux auteurs. La lecture présentait clairement une dimension d’évasion pour moi. Plus tard, j’ai passé mes vacances en compagnie d’Agatha Christie et de Hercule Poirot. C’était un monde à part, un monde à moi dans lequel je me retirais.
Avez-vous toujours aimé lire ? N’y a-t-il pas eu d’interruption à l’adolescence par exemple?
A partir du moment où j’ai commencé à lire, je ne me suis plus jamais arrêtée, avec des périodes plus frénétiques que d’autres cependant. « Le dernier des Mohicans, » de James Fenimore Cooper reste par exemple un grand souvenir pour moi. C’est la première fois que je me suis rendue compte qu’on pouvait s’attacher à un être de fiction. Je savais qu’il n’existait pas, mais je m’étais prise de passion pour un des personnages. C’est aussi la première fois que j’ai pleuré en refermant un livre. Je me revois éclater en sanglots dans le compartiment du train. A partir de la 3e, l’école a joué un rôle important dans mes choix.
Que vous a-t-elle fait découvrir par exemple ?
« Une vie » de Maupassant, « Mme Bovary » de Flaubert. Le virus était attrapé. J’éprouvais quelque chose de l’ordre de l’empathie, de la compassion. Une vie contenue dans un roman, je trouvais ça formidable. J’ai beaucoup aimé aussi les Russes. J’habitais chez mon père, en Normandie, et on allait au CDI choisir des livres. Je revois précisément les traits du documentaliste, et je pense que c’était lui qui m’avait aiguillée. J’ai lu tous les romans de Dostoievsky que possédait le CDI, Gogol… Je garde le souvenir adolescent de lectures tourmentées.
Vous n’avez jamais lu des auteurs comme Daphné du Maurier, Margaret Mitchell etc ?
Non, jamais. Mais Camus a été une de mes grandes passions d’adolescence. Je suis restée longtemps cantonnée à la littérature classique, mais à 16 ou 17 ans j’ai découvert Italo Calvino en regardant une émission de télévision avec ma mère. J’ai commencé, je crois, par « Si par une nuit d’hiver un voyageur ».
Vous souvenez-vous d’autres gros chocs ?
Alors que j’étais en hypokhagne, j’ai reçu « Le roi des aulnes » de Michel Tournier. Plus qu’un monde, j’ai été émerveillée par cette langue incroyable, cet univers fantastique. Il m’a ouvert le chemin vers la littérature contemporaine. Pour la première fois j’éprouvais une émotion à la fois esthétique et formelle pour un écrivain vivant. Dans un autre genre, j’ai adoré « Dalva » de Jim Harrison. Je me suis mise à lire beaucoup de littérature étrangère, Robert Musil, Peter Handke…
Vous souvenez-vous d’un livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Je tenais mon journal, mais je n’établissais aucun lien entre ce que je lisais et que j’écrivais. Ce journal servait à mieux me connaître moi-même, à me construire, à faire face à ce qui se passait autour de moi. Il n’était lu que par moi. Je l’ai arrêté lorsque j’avais une trentaine d’années, car je travaillais, j’avais deux bébés et le temps me manquait pour m’en occuper. Quelques mois après, l’écriture que j’avais chassée par la porte est revenue par la fenêtre. J’ai commencé un roman, avec le projet très clair de l’envoyer par la poste à des éditeurs. J’ai reçu des réponses négatives, mais des encouragements circonstanciés de plusieurs directeurs littéraires qui m’ont donné le courage et l’envie de poursuivre. Lorsque j’ai terminé « Jours sans faim », j’ai envoyé mon manuscrit chez Grasset, à Yves Berger qui était l’un des éditeurs à m’avoir soutenue.
Que cherchez-vous dans la lecture ?
Je suis une lectrice assez hétéroclite, je peux aimer des choses très différentes. Aujourd’hui, je me situe davantage dans une recherche formelle et esthétique. Et même si l’intrigue est bien ficelée, je peux difficilement me contenter d’une langue pauvre.
Quel genre de livres aimez-vous aujourd’hui ?
A part Stephen King, que je considère comme un écrivain majeur, je lis peu de policiers. Et depuis que j’écris, j’apprécie la littérature française contemporaine. J’ai des affinités avec des personnes comme Marie-Hélène Lafon, dont j’attends chaque livre. Je suis également Virginie Despentes, Véronique Ovaldé, Maylis de Kerangal, Olivier Adam, Nathacha Appanah, Nathalie Kuperman et beaucoup d’autres auteurs de grand talent.
Y a-t-il des écrivains qui vous ont influencée ?
Probablement plein, mais de manière inconsciente. J’aime énormément Laura Kasischke, que j’ai découvert avec « Un oiseau dans le blizzard ». Elle représente pour moi l’idole absolue. J’aime aussi beaucoup James Salter. Et j’ai découvert récemment un livre incroyable, « Il faut qu’on parle de Kevin » de Lionel Shriver. C’est terrible mais qu’est-ce que c’est bien! Il y a encore Richard Powers que je lis avec un œil professionnel, car j’aimerais tellement savoir faire ça. J’admire son souffle romanesque doublé d’un contenu scientifique extrêmement solide. Je rêve depuis longtemps d’un livre très ambitieux, un projet que je remets à plus tard, car je ne suis pas certaine d’être techniquement suffisamment armée pour me lancer. Et pour nourrir ce rêve, je lis de temps en temps un Richard Powers !
Lisez-vous lorsque vous écrivez ?
J’ai toujours peur des interférences, alors j’évite des auteurs comme Annie Ernaux, Emmanuel Carrère qui, sous une apparente simplicité, accomplissent une œuvre complexe, intelligente, profonde. Je vais les mettre à distance pour essayer de préserver ma toute petite voix, de continuer à la travailler. Dans ces périodes, je lis plutôt de la littérature traduite, des textes pour lesquels peut-être la forme est moins importante, ou dont l’écriture semble très éloignée de la mienne.
COMMENT LISEZ-VOUS ?
Marque-pages ou pages cornées ?
Marque-pages pour noter où j’en suis, et pages cornées pour retenir les passages que j’aime. Et en plus, je souligne! Je trouve amusant qu’un livre porte l’empreinte de ma lecture. Quand je le rouvrirai, je retrouverai l’émotion que j’avais éprouvée.
Debout, assise ou couchée ?
-Essentiellement assise, car couchée je m’endors.
Jamais sans mon livre ?
Si je voyage…
Un ou plusieurs à la fois ?
Un seul, je suis incapable d’en lire plusieurs à la fois.
Combien de pages avant d’abandonner ?
Il est très rare que j’abandonne, je suis coriace. Je choisis mes lectures en me basant sur le bouche à oreille, les conseils du librairie, les articles de journaliste auxquels je peux me fier. Donc je me trompe rarement dans mes choix…
CINQ INCONTOURNABLES
« Ce que savait Maisie » de Henry James
« Un bonheur parfait » James Salter
« Rêve de garçons » ou « À moi pour toujours » de Laura Kasischke
« De chair et de sang » de Michael Cunningham 
« Les années » de Annie Ernaux





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