sábado, 18 de julio de 2020

Rilke : quatre conseils aux jeunes poètes




L’immense poète que deviendra Rilke n’a que 28 ans quand il commence à répondre à Franz Kappus, 17 ans, poète en herbe et cadet à l’école militaire que Rilke avait désertée quelques années plus tôt. Rilke lui envoie dix lettres en cinq ans depuis Paris, où il est secrétaire de Rodin, depuis la Suède, Rome, des alentours de Brême, où il ne cesse d’écrire. Dix petits traités de philosophie pratique, dix méditations sur la solitude, l’amour, la création.
Face à l’exigence de Rilke, le jeune Kappus finira par choisir une carrière militaire. Mais, reconnaissant envers son jeune maître, il publie ses précieuses leçons en 1929. Immédiatement, les dix lettres de Rilke rencontrent un immense succès mondial. Elles restent encore aujourd’hui plus connues que les poèmes de l'auteur et demeurent un guide spirituel pour apprendre à vivre, dont il faut retenir au moins ces quatre leçons, éclairées par Jean-Yves Masson, traducteur, éditeur de Rilke, et lui-même poète.

Leçon 1  : assumez votre sexualité

Jean-Yves Masson : La thématique de la sexualité est extrêmement importante parce que dans ses lettres, on voit bien qu’écrire, être poète, ce n’est pas un métier, c’est une façon d’être, d’abord. C’est un certain rapport au monde, à soi-même, et à la vie. Et Rilke a des réponses extraordinairement modernes pour son époque, où il dit que l’énergie sexuelle et l’énergie créatrice, c’est la même. Et que donc il faut assumer entièrement ses désirs, sa sexualité, et s’affranchir de tout ce qui peut la réprimer : la morale. Avec l’idée que l’homme moderne est malheureux parce qu’on lui a enseigné à se méfier de la sexualité, à la réprimer. On tombe, il dit, par exemple dans le vaudeville, avec le mari, la femme et l’amant. C’est le théâtre d’un monde qui a perdu toute authenticité dans le rapport à la sexualité. Ce n’est pas intéressant, aux yeux de Rilke. Ce qui est intéressant, c’est comment le corps et l’esprit communiquent dans une sexualité authentiquement assumée.
“Approchez de la nature. Essayez de dire, comme si vous étiez le premier homme, ce que vous voyez, ce que vous vivez, aimez, perdez.” Rilke, Lettre à un jeune poète 

Leçon 2 : donnez votre vie pour écrire

Jean-Yves Masson : Rilke lui dit : “Si vous pensez que vous pouvez continuer à vivre sans écrire, n’écrivez pas”. Rilke dit : “Si on répond 'non, je n’en mourrai pas', alors on n’a pas le droit d’écrire.” Donc vous voyez, c’est quand même très exigeant. C’est évidemment son cas. L’écriture l’a sauvé du suicide, ou en tout cas d’un naufrage psychique très très grave. 
Cherchez le besoin qui vous fait écrire, examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Rilke, Lettre à un jeune poète
Si on pense qu’on mourra de ne pouvoir être poète, alors il n’y a pas à hésiter. Simplement, dans ce cas-là, il ne faut pas y consacrer sa vie à moitié. Ni aux trois quarts. C’est toute la vie. Et Rilke a joint le geste à la parole, parce qu’il a trouvé le moyen de ne vivre de rien d’autre, de ne rien, strictement rien faire d’autre que d’écrire. Il s’est comporté comme une sorte de prêtre de la poésie. L’œuvre doit occuper toute la place. Et si ça oblige à la pauvreté, eh bien ça oblige à la pauvreté, il faut y être prêt, voilà. Quand il donne tous ses conseils au jeune poète, Rilke se les donne à lui-même. C’est qu’en expliquant à l’autre ce qu’il faut faire pour vivre, il comprend aussi comment la vie lui est possible à lui.

Leçon 3  : apprivoisez la solitude 

Jean-Yves Masson : Écartez absolument toute idée de succès littéraire. Ne s’intéresser qu’au rapport qu’on a entre soi et soi, c’est-à-dire entre soi et ce qu’on écrit. Ne pas attendre des autres une approbation. On ne peut pas mener une vie sociale normale si on veut écrire. L’écriture exige d’être dans la solitude. Rilke est quelqu’un d’extrêmement solitaire. Et cette solitude est la condition de son oeuvre. Par contre, c’est un grand épistolier, il a énormément écrit de lettres. La lettre lui permet de tenir à distance les autres.
“Votre regard est tourné vers le dehors. C’est cela maintenant surtout que vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide. Personne. Il n’est qu’un seul chemin : entrez en vous-même”. Rilke, Lettre à un jeune poète 

Leçon 4 : fuyez l'ironie

Jean-Yves Masson : En art, il n’y a aux yeux de Rilke, pas place pour le second degré, pas place pour la légèreté, pas place pour un art qui traiterait les choses de façon superficielle. Même de très grands auteurs lui étaient totalement indifférents. Si on est créateur, on ne doit chercher dans les autres livres que ce qui peut vous nourrir. C’est-à-dire au fond ce qui vous ressemble déjà, ce qui vous révèle à vous-même. Donc ça ne le dérangeait pas de dire qu’il n’avait pas lu Shakespeare. Alors à partir de là, toute une part de la littérature qui est de l’ordre de la légèreté, du jeu, du jeu avec les mots… du côté un peu superficiel, lui était très profondément indifférent. 



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